L’âme des pierres révélée

Passionné de land art, Jean-Paul Gobet, dit JPeg, ressent le besoin de se fondre dans la nature qui le nourrit et le libère de ses angoisses.

Les pierres inspirent à Jean-Paul Gobet d’éphémères et poétiques sculptures. La quête d’équilibre au cœur de son art

Un article de Sonya Mermoud · Publié dans «Profil · L’événement syndical».
Mercredi 16 février 2022

Fascinante démarche que celle entreprise par Jean-Paul Gobet. Depuis plus d’une dizaine d’année, , l’homme juxtapose, dans un esthétique et savant équilibre, des pierres donnant naissance à d’extraordinaires sculptures. Poétiques et éphémères, ces œuvres qui défient les lois de la gravité se dressent dans leur écrin de nature le temps de quelques photo-graphies garantes de leur pérennité. Le temps aussi, dira Jean-Paul Gobet, de révéler les entités des lieux. Et de savourer ce moment de zénitude ressenti la création terminée, de goûter à cette apothéose couronnant son étonnant et fragile tour de force. «La construction génère beaucoup de tensions. La pièce dressée, le relâchement est total», précise l’artiste de 70 ans, qui semble en avoir dix de moins, épargné par les griffes des ans. Tout commence par la recherche d’un endroit «spécial» en raison de ses caractéristiques géographiques – entre rivières, gorges, falaises… – et de son énergie. Le cadre trouvé, Jean-Paul Gobet s’y installe et s’imprègne de son ambiance. Au terme de cet arrêt «méditatif», il rassemble les roches «qui se marient» et serviront ses desseins. «Je trouve d’abord la tête qu’elle m’évoque, un animal, un ange, un démon, un humain…» explique ce sculpteur d’un autre genre. La base de la composition stabilisée, débute l’assemblage vertical fondé sur un subtil jeu de balances et de points d’appui dans lequel le retraité est passé maître.

ÉQUILIBRE INTÉRIEUR

«Je parle beaucoup aux pierres. Je suis moi-même surpris par le résultat. C’est merveilleux et difficile à expliquer. Magique. J’ai toujours été fasciné par le monde minéral, si beau et chargé de mémoires», note encore le Vaudois qui, doté d’une grande patience, doit néanmoins parfois renoncer, l’œuvre projetée se dérobant à sa matérialisation. Pour mener à bien ses projets, le passionné aux mollets d’acier se promène beaucoup – en terre vaudoise, mais aussi dans les cantons du Valais, de Fribourg, voire ailleurs, comme en Corse – et prend son temps. Pas question d’aligner les sculptures. Le solitaire préfère au nombre privilégier des créations «subtiles et puissantes», aussi conditionnées, note-t-il, par le vécu. «Elles sont l’émanation de ce qu’on a en nous, un conglomérat de positif comme de négatif qui influence l’expression artistique.» Dans ce sens, la quête d’équilibre caractérisant ses compositions reflète aussi celle intérieure. «Cet art m’amène à me fondre dans la nature qui me nourrit et me libère de mes angoisses. Des peurs liées à l’état du monde. Je pense trop», confie Jean-Paul Gobet qui, enfant déjà, s’évade dans ce bénéfique terrain de jeux. Pour le gosse rêveur d’alors, des présences habitent les cailloux. Il y voit des visages…

APPEL DU PIED ÉCOLOGIQUE

Des décennies plus tard, l’ancien graphiste – qui n’a rien perdu de sa capacité d’émerveillement – s’amuse au cours de ses balades à ériger de simples cairns. Un déclic se produit. Il se découvre un don. «C’est comme si quelque chose m’avait saisi. Si j’avais été appelé à révéler les entités des lieux pour leur permettre de s’exprimer», affirme le passionné, qui se dit aussi un peu médium et pratique la radiesthésie. Aux sculptures immortalisées par sa caméra – des images régulièrement présentées dans des expositions ou objets de livres – se joignent de courts textes. «Ils sont importants. J’imagine des récits, liés à l’histoire des lieux, offrant des pistes d’interprétation.» Un propos illustré, à titre d’exemple, par sa sculpture Noble Madeleine. «Des ruines de son château de Montsalvens aux profondes gorges de Jogne, erre son esprit blessé», écrit à son sujet Jean-Paul Gobet, faisant allusion à la vie jadis d’une châtelaine qui voyant son époux partir chaque matin rejoindre sa maîtresse, serait morte de chagrin… Au-delà de ses émouvants fantômes de pierre, Jean-Paul Gobet souhaite, à travers son travail, sensibiliser les personnes à l’environnement. «Un point fondamental dans ma démarche. Si l’on comprend que la vie se trouve partout, même dans les cailloux, j’espère qu’on agressera moins la nature. Qu’on se montrera plus respectueux.»

UN ENVERS DU MIROIR

D’un caractère plutôt pessimiste, ce qui ne l’empêche pas d’être heureux – «Le bonheur est un travail et débute par la possibilité de tenir le matin sur ses deux jambes» –, l’artiste place en tête de ses valeurs l’amitié. Dans cet esprit, cet hypersensible, très sociable, souligne avoir beaucoup souffert des divisions générées par la gestion du Covid. Et cela alors qu’un de ses atouts majeurs se traduit par sa capacité de conciliation… Et une ouverture aux autres éprouvée. Jeune, l’ancien soixante-huitard grattant avec bonheur la guitare parcourt le monde durant une dizaine d’années, séduit par la richesse des cultures, des paysages, des rencontres. Vivant de petits boulots. De retour dans nos frontières, le bourlingueur, au bénéfice d’un CFC de dessinateur technique, s’oriente vers le graphisme qu’il apprend en autodidacte. Un métier qu’il exercera en indépendant jusqu’à la retraite. Résidant à Essertines-sur-Rolle avec son épouse et un chat – son animal favori – Jean-Paul Gobet aime à penser que l’homme n’est pas arrivé sur Terre par hasard. «Mon pire cauchemar serait que tout cela ne soit qu’une vaste plaisanterie. Mais au regard de la complexité du monde, je ne le crois pas. Il y a certainement quelque chose de plus grand, un envers du miroir.» Et de conclure, retournant sur son terrain de prédilection: «Le monde minéral, les entités de la nature, attendent de nous un comportement nouveau, décisif pour notre avenir commun.» Avis aux humains au cœur de pierre… 

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